Le digital se confirme aujourd’hui comme un enjeu stratégique et un outil de performance collective, telle était la conclusion de notre rapport Digital Flow 2021. Notre étude a démontré que la majorité des dirigeants belges ont accéléré la transformation numérique de leur organisation, en parallèle à l’évolution du marché et de la société. D’une part pour mieux converger les attentes des organisations et des collaborateurs, notamment en matière d’autonomie, de conditions de travail et de collaboration, mais aussi pour mieux répondre aux besoins des clients. Cependant, nous estimons qu’il faut aborder la transition numérique de manière plus globale pour en faire un levier d’impacts positifs sur l’ensemble de la société.
C’est dans cet esprit plus global que la Ville de Bruxelles a basculé vers le numérique, explique René-Jean Ducluzeau, Director Program Management & Transformation chez i-CITY : « Nous avons réuni nos services et sites web sur un seul portail où nous orchestrons pas moins de 45 processus définis étape par étape. Le citoyen en est l’acteur principal et il a une vue en temps réel de l’état d’avancement. Nous avons réussi à créer un certain dynamisme avec lui et il est moins dépendant de nos agents. Les services publics en mode Netflix, dira-t-on. »
Le citoyen bruxellois qui loue un appartement à la Ville, s’inscrira par exemple au catalogue « Vivre à Bruxelles ». S’il fait la déclaration d’une naissance, la Ville lui proposera automatiquement un nouvel appartement, plus grand. Soit un service public intelligent avec suggestions aux citoyens. Tout comme le catalogue Netflix.
Le Service Public de Wallonie en est encore loin : il compte 18 portails auxquels les citoyens peuvent se connecter, mais ce sont autant d’îlots uniques et le citoyen doit y trouver son chemin. Ce que le CIO du « SPW » David Wattecamps souhaite résoudre au plus vite : « A mes yeux, la transformation digitale a notamment pour priorité de faciliter les démarches et recherches d’informations des usagers dans un portail unique. Et il faudra créer des partenariats cohérents dans les différents services publics pour y arriver, sans quoi nous risquons de nous faire doubler par des services commerciaux.
La création d’un portail unique est aussi très actuel au CIRB. Yves Mathonet, Head of Digital Transformation au CIRB, est ambitieux : « J’avoue que nous sommes encore dans une approche réactive. C’est en développant plus de connaissances autour du citoyen et de ses éléments de vie que nous pourrons être plus proactifs. Nous entendons l’accompagner dans les différentes étapes de sa vie : s’il nous communique en ligne la naissance de son enfant, nous pouvons, à titre d’exemple, prévoir l’inscription à une crèche dans la foulée. Il s’agit donc de rassembler un maximum d’informations et d’utiliser la donnée de la bonne manière. En tant que services publics, nous avons un grand capital confiance mais il faut éviter d’uniquement faciliter la simple googlisation de nos services. Le citoyen est habitué à être informé de manière proactive. C’est notre objectif. »
Cette approche proactive se complique sur le marché de l’emploi. « Nous demeurons malheureusement dans un schéma réactif. Ceci est dû en partie à une fracture numérique bien présente dans la région, mais aussi à l’ampleur et au coût de la transformation digitale des services publics. Nous exécutons des décisions légales incluant le recours au digital pour l’accompagnement ou la formation des demandeurs d’emploi. Il va sans dire que si nous pouvions anticiper les demandes de nos citoyens grâce au digital et donc plus travailler sur la proactivité, nous serions capables de mieux accompagner les chercheurs d’emploi. Mais c’est un challenge », explique Thierry Derycke, Director Digital Transformation au Forem.
Un son de cloche plutôt similaire chez Actiris, son pendant bruxellois. « Le chercheur veut tout d’abord être inscrit afin de pouvoir toucher des allocations de chômage, le reste vient après », indique Marguerite Frébutte, IT Director d’Actiris. « Il nous revient d’analyser comment inverser la tendance, mais c’est compliqué dans un contexte de fracture numérique ou encore linguistique. Nous travaillons énormément sur l’expérience utilisateur de nos plateformes, mais nous n’atteignons que 50% des chercheurs. »
Pour les deux responsables informatiques, le digital pourrait être la solution avec une approche multicanal en complément du présentiel. Mais ils insistent qu’il faudra aussi aider le citoyen à utiliser efficacement le numérique. De plus, le public comme le privé ont inondé le citoyen d’e-mails. « Les taux de réponse sont affolants. La conversion n’est donc pas facile. » Rajoutez-y les systèmes eBox pour le fédéral, les différents portails communaux et régionaux… : le citoyen s’y perd.
Head of Smarketing au CIRB et donc expert en la matière, Jean-Christophe Armslag confirme que le public doit réinventer sa communication: « Il faut chercher à faire vivre une meilleure expérience citoyenne à tout un chacun. La communication est cruciale dans cette équation. Il faudra moins « polluer » ou bombarder le citoyen avec de nombreuses communications du type « push » : il favorise une approche de guette. Il n’ira chercher les infos que quand le besoin se présente. »
Le spécialiste du marketing songe à converger communications publiques et privées, via des applis pour smartphone : « Avec une touche de ludification, pour les rendre plus accessibles et légères. Aujourd’hui, nous nous connectons aux systèmes du secteur public par obligation. Pourquoi ne pas avoir une appli pour à la fois le partage de vélos et les services publics ? »
La Poste s’est déjà rapprochée du CIRB pour un tel co-développement. L’idée ne semble pas absurde. Après tout, les services publics ont quand même une relation de confiance. « Ce capital confiance n’a pas abouti avec l’appli Covid-Safe », s’étonne Thierry Derycke. « Alors qu’il y a un énorme paradoxe entre ce que nous confions à Google et le partage de données dans le cadre du coronavirus. L’analyse juridique derrière n’a pas été valorisée auprès du citoyen. »
Et David Wattecamps de réagir : « Nous ne pouvons pas nous focaliser uniquement sur nos propres services. En tant que service public, nous avons aussi et surtout des obligations à partager. Je suis attiré par le concept d’une appli partagée avec système de tuiles thématiques, et il y a effectivement des contraintes, notamment juridiques. »
Un système partagé permettrait déjà uniformiser l’authentification, dit-on du côté bruxellois. Le citoyen pourrait parfaitement avoir accès, via une seule entrée, aux portails de différentes autorités. Un exercice omnichannel qui a de fait été payant pour la Ville de Bruxelles, mais qui a aussi coûté beaucoup de temps, d’argent et de réflexion. A prendre en compte ?
« A ce niveau, il y a une plus grande mutualisation en France. La Belgique est toujours au stade de l’e-government. Oui, on a numérisé une partie importante du service public, mais il faut vraiment passer à la vitesse supérieure », estime Thierry Derycke. La solution ne réside-t-elle pas dans une intégration plus fine entre public et privé ? Nous sommes à l’ère de l’Open Data…
La digitalisation transversale mérite d’être considérée, estime-t-on au sein des services publics. Quoi qu’il en soit, l’expérience digitale citoyenne dépend aussi de la précarité numérique. En 2021, la Fondation Roi Baudouin a constaté d’importantes inégalités relatives à l’accès, aux compétences et à l’utilisation du numérique en Belgique. Ce qui complique aussi la réintégration de chercheurs d’emploi sur le marché du travail.
Marguerite Frebutte : « La précarité existe en effet à plusieurs niveaux. Ce n’est pas parce que vous avez le permis de conduire que vous arrivez facilement à destination. Nous entendons contribuer à la santé économique et à la cohésion sociale de la Région par l’augmentation du taux d’emploi. Mais il y a clairement des soucis en amont déjà, au sein de l’enseignement classique. Prépare-t-il les profils dont les sociétés ont besoin ? »
Et David Wattecamps de rajouter : « N’avons-nous pas un problème d’évolution ? Les filières de l’enseignement ont peu évolué en vingt ans. »
« En matière du numérique, il n’y a pas un grand afflux de l’enseignement classique », confirme Thierry Derycke. « Ne devons-nous pas songer à raccourcir les études et à activer justement la formation continue – sans doute plus actualisée ? Nous sommes dans l’évolution contraire aujourd’hui. Comment allons-nous basculer ? Je crains que ce soit le secteur même qui doit faire la promotion. »
Il est vrai que les jeunes recherchent une perspective de formation, ils ne veulent pas coder pendant 40 ans mais s’épanouir dans l’entreprise. De plus, le sens et la participation sociétale jouent un rôle sans cesse plus important aussi. Au CIRB, les compétences techniques ne représentent que 20% des capacités recherchées. L’organisation mise davantage sur les capacités de communication et de collaboration.
Tous insistent qu’il faudra former en permanence si l’on veut bien accompagner la transformation numérique qui s’accélère. Le monde change, nous avons désormais plus de données. Ce qui change aussi le métier du fonctionnaire, qui doit désormais atteindre des indicateurs de performance. Le numérique a inversé la tendance: c’est le citoyen qui met le fonctionnaire au travail. « La transformation numérique peut soulever des résistances au changement au sein de l’administration », soulève David Wattecamps.», soulève David Wattecamps.
« La réallocation entre les canaux de distribution peut être une première résistance. L’équité de résultat n’est pas toujours l’égalité de moyens, le digital permet plus d’efficacité de moyens mieux distribués », confirme Thierry Derycke. « Il s’agit de bien souligner la valeur ajoutée du fonctionnaire dans la communication, l’interaction humaine avec les citoyens, les tâches de haute valeur ajoutée. Nous avons tous les yeux rivés sur la nécessité de la transformation numérique mais il faudra accompagner le changement tout au long de l’exercice. »